Eglise Saint-Jacques, monument en danger, place à l’action!
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Témoins de notre histoire, des millions de bâtiments nous racontent notre passé commun. Si des sites peuvent compter sur le tourisme de masse, les avantages fiscaux qu’offrent quelques lois ou encore une visibilité pour bénéficier d’une restauration intégrale, il n’en est pas moins que pour des milliers de monuments dans un état critique, la réalité est tout autre. Quotidiennement, des collectifs, tout comme des propriétaires amoureux du patrimoine, tentent de protéger ces bâtisses centenaires qui ne sont ni inscrites ni classées au titre des Monuments Historiques. Elles ne bénéficient d’aucun soutien pour les entretenir. Autant d’investissements de temps et d’argent qui bien souvent manquent pour les sauver d’un délabrement irréversible.
Mais qu’en est-il quand ces ressources ne sont pas disponibles et que le monument en question n’est protégé par aucune législation ?
Afin d’illustrer cette situation, partons dans le centre historique de Bordeaux pour mettre en lumière les actions menées par le Collectif 1120 qui se bat pour sauver, protéger et préserver le monument en mauvais état.
L’étrange reconversion d’une église…
Rendez-vous au 10 rue du Mirail, en plein cœur de Bordeaux. Si la rue attise la curiosité des amateurs de légendes urbaines, vous serez probablement surpris de notre intérêt pour cette façade sobre du XVIIIe siècle. Arrêtez-vous un instant devant la porte de garage et imaginez-vous devant un vestige de 500 ans ! L’entrée n’est pas permise car c’est aujourd’hui un parking privé.
Voici rapidement l’histoire de ce monument oublié qui résiste encore et malgré lui aux aléas du temps.
Ce n’est qu’au début du XIIe siècle que le célèbre duc d’Aquitaine Guillaume IX « le Troubadour », septième comte de Poitiers de ce nom et grand-père d’Aliénor d’Aquitaine, fonde un hôpital afin d’accueillir les pèlerins sur la route de Saint-Jacques de Compostelle, tout en combattant en Espagne du côté chrétien à la bataille de Cutanda juste quelques mois plus tard… Les plus nécessiteux sont également nourris et hébergés pendant au moins deux nuitées. Nous n’avons que peu d’éléments sur son aspect d’origine, mais l’église mesurée probablement 60 mètre de longueur. Après la guerre de Cent Ans, qui a violemment opposé les français au anglais, l’économie bordelaise va permettre d’édification d’une nouvelle église entre 1450 et 1500, ainsi que la fameuse église Saint-Michel construite entre temps, de 1472 et 1492… Les dons n’affluant plus suffisamment pour faire fonctionner l’établissement après le Moyen Âge, l’état de l’église va être jugé désastreux et faire l’objet de plusieurs restaurations. Durant la Renaissance, les Jésuites vont s’y installer et l’hôpital des pèlerins complétera leurs possessions bordelaises qui comprenaient aussi leur collège (actuel lycée Montaigne) situé de l’autre côté de la rue du Mirail et qui faisait concurrence au fameux collège de Guyenne auquel il sera rattaché en 1764 après l’expulsion des Jésuites par Louis XV !
L’église n’aura de cesse d’être reconvertie pour différents usages : salle de spectacles, immeuble et aujourd’hui parking privé ! Les nombreuses transformations et vicissitudes dues au temps la menacent sérieusement donc de nos jours.
L’infiltration de l’eau fragilise la structure de pierre. D’ailleurs le 9 mars 2001, la voûte de son chevet s’est effondrée avec sa magnifique la clé de voûte polychrome représentant Saint-Jacques.
D’après le porte-parole du collectif 1120 Guilhem PEPIN, historien de l’Aquitaine anglaise (XIIe-XVe siècle) et docteur en histoire de l’Université d’Oxford, Bien que la propriétaire ait reçu de multiples propositions d’achat très avantageuses, celle-ci n’a jamais pu se résigner à délaisser ce trésor historique. Le monument est préservé temporairement de la destruction des promoteurs immobiliers, mais il reste néanmoins loin d’être sauvé. Rappelons-le, pour le moment aucune arme législative ne protège l’église de son sort.
Après la contemplation, place aux actions.
Depuis mai 2020, le Collectif 1120 tente d’éveiller l’intérêt des Bordelais! La publication du post original provenant de la page Facebook du collectif, sur le groupe « Bordeaux, je me souviens » n’a pas manqué de faire réagir.
L’objectif est clair : faire connaître cet hôpital-prieuré auprès des habitants et aboutir à la préservation de l’église grâce à son inscription à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques. Ainsi chaque citoyen est maintenant un acteur de l’histoire de ce patrimoine s’il désire rejoindre ce collectif.
Quel intérêt ? En obtenant l’inscription à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques ou la classification au titre des Monuments Historiques, au regard de la loi, ce monument médiéval sera intégralement protégé, et ainsi légué aux générations futures de Bordelais. De cette manière, elle pourrait bénéficier des modes de protection suivants :
- Le monument ne pourra être détruit ou déplacé même partiellement, ni subir une quelconque transformation sans l’accord émanant du cabinet du ministère chargé des affaires culturelles ou de son service déconcentré, la DRAC.
- Les travaux d’entretien seront destinés à maintenir les immeubles bâtis en bon état : recours à des interventions diverses pour prévenir de toute dégradation des matériaux et de la remise en état identique, c’est-à-dire, sans en modifier l’aspect, l’agencement, les matières…
- A l’exception des réparations ordinaires, les travaux d’entretien devront faire l’objet d’une procédure administrative très stricte.
- Suivant sa reconnaissance auprès des Monuments Historiques, le Service Territorial de l’Architecture et du Patrimoine (la STAP) ou la Conservation Régionale des Monuments Historiques (CRMH) assureront périodiquement de son état.
Il ne s’agit là que d’une infime partie des mesures qui pourraient sauver l’église et permettre aux citoyens que nous sommes de défendre une partie de leur héritage historique.
Des réseaux et des idées.
En passant par les réseaux sociaux et en touchant pas moins de 60 000 personnes à ce jour, le Collectif 1120, par son action Facebook, a déjà mis en lumière l’incertitude inquiétante qui plane autour de l’existence de ce monument. Amoureux du patrimoine, curieux, nostalgiques, journalistes et les professionnels du tourisme comme les guides-conférenciers ont pu redécouvrir ce lieu et ainsi porter un vif intérêt quant au sort de ce monument. Le Collectif 1120 appelle à la mobilisation citoyenne que cette église bénéficie d’un statut protecteur, et que son futur usage puisse être utile dans le cadre d’une politique patrimoniale mettant en valeur le Bordeaux (oublié) médiéval, celui du premier apogée économique et viticole de Bordeaux (XIIIe-XIVe siècle).
Comment faire ? Il faut aller sur la page Facebook du Collectif 1120 – Sauvons l’église Saint-Jacques de Bordeaux ! et s’y abonner afin de suivre les actions futures de ce collectif, qui se réunira physiquement quand cela sera possible, mais aussi apprendre peu à peu l’histoire de ce lieu narré par l’historien médiéviste Guilhem Pépin.
Quoi qu’il en soit, cette vieille dame de pierre n’a pas dit son dernier mot !
Malgré ses six millions de visiteurs par an, et le fait qu’elle soit inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2007 (au titre de son ensemble urbain exceptionnel et pour trois églises situées sur l’itinéraire des chemins de Saint-Jacques de Compostelle en 1998, sauf le plus important d’entre eux !), nous pouvons constater que la mise en valeur du passé de Bordeaux pour l’inscrire dans le futur est toujours un enjeu ! Alors, que la crise sanitaire nous pousse à découvrir le patrimoine local, une redécouverte des trésors cachés, vestiges du « vieux » Bordeaux détruit par Tourny et ses successeurs aux XVIIIe et XIXe siècle, ou sur le point de disparaître est une perspective réjouissante.
HISTORIEN MÉDIÉVISTE ET DOCTEUR A UNIVERSITÉ D’OXFORD, GUILHEM PEPIN EST LE PORTE PAROLE DU COLLECTIF 1120 QUI MILITE ACTIVEMENT POUR QUE L’EGLISE SOIT PROTÉGÉE.
1) Pouvez-vous brièvement présenter le Collectif 1120 ?
Tout le monde peut rejoindre le Collectif 1120. Vous pouvez nous rejoindre sur les réseaux sociaux et suivre les informations concernant le monument. Plus le nombre de personnes connaissant l’église augmentera, plus le collectif pèsera en faveur de sa préservation.
2) Êtes-vous surpris de l’engouement suite à votre publication ?
Oui. Après la diffusion d’un cliché rare de l’intérieur de l’église sur Facebook, je me suis dit que c’était le moment de se lancer. Le 5 mai dernier, j’ai donc publié un post depuis le compte du Collectif 1120. Je me doutais que la photo ne laisserait pas indifférent. Cela a été l’occasion de présenter le Collectif et d’en expliquer ses objectifs. Suite à cela, j’ai été très sollicité et de nombreuses publications ont été réalisées sur le sujet.
C’est déjà une bataille de remportée mais pas la guerre. Nous continuons notre combat.
3) Subsiste-il encore des perspectives de recherches historiques et archéologiques sur le site ?
Pas pour le moment. La priorité est de l’inscrire à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. On ne peut pas se projeter dans un quelconque projet sans la garantie que l’église soit protégée de tout projet de transformation qui, à terme, la fera disparaître de manière irréversible. A titre de comparaison, l’église Saint-Siméon de Bordeaux a elle-aussi connu de nombreux usages, mais l’aspect du bâtiment a été respecté. Bien que ce soit un cinéma, l’architecture gothique propre à ce monument religieux est intacte, ce qui n’est pas le cas pour l’église Saint-Jacques. Des habitants de la rue du Mirail ignoraient encore récemment sa présence.
Aucune recherche n’est à l’ordre du jour. Cependant, de nombreuses archives concernant l’église Saint-Jacques sont conservées aux Archives Départementales.
4) Actuellement, a-t-on des raisons de s’inquiéter pour l’avenir de l’église ?
Tant que l’église n’est pas inscrite, il est très difficile actuellement de répondre à cette question. L’incertitude sur son futur plane toujours. Nous essayons de faire connaître le monument au plus grand nombre, auprès des habitants de Bordeaux métropole et au-delà de ses frontières. Collectivement, nous pouvons avoir un impact très fort sur les décisions prises concernant l’avenir de l’église Saint-Jacques. Les actions que nous menons semblent porter leur fruit, nous restons optimistes.
Article co-écrit avec Solène HUAULME
Mots-clés: Nouvelle-Aquitaine , Gironde , Bordeaux