Le clocher Saint-Amand s'est refait une beauté et une santé!
Alors que la flèche Saint-Michel est fermée au public pour les cinq prochaines années, un autre chantier plus discret a tenu en haleine plusieurs professionnels : celui de la restauration du clocher de Saint-Amand (Caudéran, Bordeaux). Cet article est l'occasion de découvrir ou redécouvrir la restauration réalisée tout au long de l'année 2021.
Avant d'entamer les explications sur le chantier, il convient de faire une immersion dans le passé pour comprendre son histoire.
Chapitre 1: La tumulteuse histoire du clocher dans le bourg
Le bourg de Caudéran était une commune créée en 1789. Devenue indépendante d’un point de vue administratif à cette date, Caudéran dépend alors, sur le plan spirituel, du chapitre de Saint-Seurin. C'est ainsi que la construction d'un édifice religieux a rapidement été une évidence pour ses habitants.
Ce n'est qu'en 1842, après de longs débats, qu'une chapelle est bâtie sur l'actuel emplacement de Saint-Amand. Cependant, cet édifice se révèle trop petit pour accueillir tous les paroissiens.
En 1845, les Caudéranais profitent de la venue de la famille royale pour célébrer en grande pompe la pose de la future église du bourg. Pour l'occasion, plus de 500 blocs de pierre ont été commandés. Ce fut une cérémonie des plus normales, si l’on omet de préciser qu'aucun architecte n'était désigné à ce moment-là. Cocasse, non?
Une fois l'euphorie retombée, une commission se charge d'étudier les églises girondines afin que la mairie puisse lancer un concours à destination des architectes. Finalement, aucun projet ne correspond aux attentes et la proposition d'Auguste Bordes (pourtant favori) reste sans réponse... C’est grâce à la suggestion du curé de Caudéran que l'architecte Henri Duphot est choisi. Le conseil municipal valide rapidement ses projets, même si le devis initial a été dépassé. Malheureusement, la Commission des Arts et des Édifices Religieux rejette les plans de Duphot arguant le fait que le projet souffre de plusieurs incohérences architecturales. Après des modifications, la construction de l'église est lancée.
L’église n’est achevée qu’en 1855. 10 ans après ce fut c’est au tour du clocher. Tous deux furent bénis le 24 avril 1866 par le cardinal Donnet.
Les péripéties ne s’arrêtent pas là, de nouvelles difficultés attendent l’église dans les années qui suivent son inauguration.
Chapitre 2 : un clocher résistant à toutes les épreuves
Les visites du chantier furent l'occasion de répondre à quelques questions autour de la nouvelle campagne de travaux.
Pourquoi engager des travaux sur ce clocher en 2021 ?
La question s'est posée de la part des curieux, car il est vrai que le monument n’a pas bénéficié de subventions pour financer sa restauration parce qu’il n’est pas classé aux Monuments Historiques ni même inscrit à l’inventaire supplémentaire. En effet, il n'est pas rare d'admirer de nombreux édifices religieux néogothiques en France. Cependant, rappelons qu'une chapelle, une basilique ou encore une église font partie de l'identité d'un territoire et demeurent les témoins privilégiés de l'histoire de ses habitants. De ce fait, la ville de Bordeaux a entièrement supporté le coût des travaux qui s'élèvent à plus d'un million d'euros. Un geste fort quand on sait que l'église Saint-Joseph à Lille a été détruite en 2021 à coups de pelleteuse dans l'indifférence de la mairie et de la ministre de la culture.
photo: Le clocher caché derrière un système d'échafaudage de 52 tonnes.
Quels sont donc les problèmes constatés ?
Ils sont nombreux ! Il semble indispensable de mentionner quelques désordres antérieurs pour comprendre les nouvelles restaurations.
En 156 ans d'existence, le clocher a lutté contre les aléas météorologiques : deux grosses tempêtes (1888 et 1999), des épisodes de gel, de pluies acides et le réchauffement climatique. Cela a causé de sérieux désordres. Dans les années 20', il a été question de détruire le clocher pour en construire un nouveau. Le projet n'aboutira jamais faute de moyens financiers.
Aussi, n'oublions pas que l'erreur est humaine et que certaines erreurs sont destructrices.
Dans le passé, le ciment a largement été utilisé comme mortier. Il a pour conséquence d'empêcher la pierre de respirer et de créer une paroi imperméable qui favorise la stagnation de l'eau à l'intérieur, provoquant la dégradation de la pierre. Il a fallu purger les éléments indésirables et les remplacer par de la chaux (technique millénaire qui n'a plus à faire ses preuves).
Dernière point: les différents parasites (et ils sont nombreux !) qui ont eu des conséquences néfastes. On parlera ici seulement des pigeons! C'est un volatile qui "picore la pierre", mais surtout connu pour ses propriétés corrosives. Durant le chantier, l’intérieur du clocher a été nettoyé et protégé par des filets en nylon... qui n'ont pas résisté à leur détermination. Les salissures, comme les nids, sont revenus très vite. Aujourd'hui, ce risque est largement écarté grâce à la présence de plusieurs grillages métalliques qui résisteront au temps et aux agressions des pigeons.
A ce jour, l’ensemble des problèmes est résolu.
photos: Avant et après la restauration.
Chapitre 3: Que s'est-il passé lorsque le clocher était caché par les toiles et les échafaudages?
Il est difficile de rendre hommage à l'ensemble du travail de tous les hommes et de femmes qui se sont investis tout au long de l’année dans un article. Mais je vais vous parler de ce qui m'a marqué.
Ma première visite était le jour du départ de la croix. Elle fût la grande absente car elle était durant plusieurs mois en atelier afin d'être restaurée et peinte.
Lorsque nous sommes montés au sommet, j'ai été frappée par l'état catastrophique de la flèche. Alors que jadis, elle se dressait fièrement au-dessus des toits caudéranais... celle-ci n'était que fragments de pierres incohérentes qui tenaient grâce au frettage. Le frettage est un système qui consiste à entourer une pile de pierres par des plats métalliques pour contenir la pile fracturée (voir image).. C'est l'une des raisons pour lesquelles la mairie a fait le choix d'installer un périmètre de sécurité matérialisé par des barrières au sol et des filets en hauteur pour éviter que le clocher ne tombe sur la tête des passants. Et encore, ce n'est que la partie visible!
photo 1 et 2: Fleuron sommital avant sa dépose et nouveau Fleuron entièrement réalisé par le tailleur de pierre.
Photo 3: Partie du Fleuron taillée
La structure métallique s'est corrodée, provoquant l'éclatement des pierres. Au fur et à mesure, elle a été remplacée par une nouvelle en inox. Aussi, des barres en fibre de verre de diverses longueurs scellées à la résine. Cette solution contemporaine permettra au clocher de résister davantage aux rafales de vent et de ne pas rouiller. Cela résout les problèmes liés à la corrosion et à l'éclatement de la pierre. Ce processus laissera une trace pour les futures générations de bâtisseurs.
Photo 1 Armature métallique corrodée
Photo 2: Nouvelle armature en inox et barres en fibre de verre
Mais encore ?
L'essentiel du travail s’est évidemment concentré sur la pierre que l'on a déposée petit à petit. Les éléments les plus sains ont été gardés puis ont servi de modèle pour tailler de nouveaux blocs qui remplaceront les plus endommagés. D'ailleurs, les éléments décoratifs ont également été restitués. Peut-être que parmi vous, certains ont déjà eu l'occasion d'observer le tailleur de pierre qui œuvrait à la vue de tous.
Par ailleurs, comme indiqué dans le titre, le clocher s'est refait une beauté et également une santé. L’extérieur n’a pas fait seul l’objet de restaurations : de nombreux corps de métier sont intervenus à l’intérieur. Cela a donc concerné différents éléments qui ont mobilisé différents professionnels : électriciens, sculpteurs, menuisiers, serruriers, vitraillistes, verriers, cordistes, etc ont œuvré à la bonne marche de ce chantier.
On pourrait alors se demander qui coordonne le chantier? La mairie a choisi monsieur Denis Boullanger pour orchestrer le chantier. Il est architecte et co-fondateur de l'agence Architecture et Patrimoine, spécialisée dans la restauration des édifices anciens, contemporains, religieux, civils, publics ou privés. Lorsque vous vous promenez en Aquitaine, vous êtes certainement passé devant un monument sur lequel il a opéré.
Photo: Travaux de restauration au clocher Saint-Amand.
Chapitre 4: Le point final d'une aventure!
Le 07 octobre dernier, après un chantier marqué par diverses difficultés rencontrées dont le contexte sanitaire, il a été célèbré la fameuse cérémonie du « bouquet de chantier », . marquant ainsi la fin des travaux et la reconnaissance envers l'ensemble des personnes qui y ont travaillé. À l'occasion, si vous passez par là, vous pourrez voir le bouquet de fleurs orner la croix.
En somme, vous l'aurez compris, ce clocher n'a pas eu une existence évidente ! Retards, voué à la destruction, usures... Pourtant cet édifice veille encore et toujours quotidiennement sur les caudéranais du haut de ses 53 mètres. Aujourd'hui, son habit de métal n'est plus, pour le plus grand bonheur de celles et ceux qui apprécieront de le retrouver.
Photo: Le bouquet final sur la croix
Merci à Bordeaux Patrimoine Mondial (CIAP de Bordeaux) de m'avoir donné l'opportunité de suivre ce chantier.
Merci à monsieur Boullanger de m'avoir autorisé à le suivre et d'être intervenu lors des visites pour partager son savoir auprès du grand public. Merci à sa collaboratrice Bénérice intervenue en octobe.
Merci également à Solène et Agathe pour votre relecture avisée.
L'ensemble des photos sont la propriété de J.Francout et la mairie de Bordeaux.
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